Sonnets à triple sens d'Adoré Floupette

poète décadent redécouvert et expliqué par Luc Etienne

(d'après des travaux de Marius Tapora)voir également Sonnet sans titre

Les Nymphes
extrait de "Déliquescences"

 

Nymphes qui défendez les secrets de cet antre,
Emprès vous un beau fruit, en sa jeune rondeur,
Se gonfle et se durcît, chaud d'une rouge ardeur,
Quand le feu de Cypris en dévore le centre.

En cet humide val oncques nul soleil n'entre.
Un bois touffu l'enclost, à la grisante odeur.
Minette, fais-moi voir des nymphes la splendeur,
Que sur elles bandant mon nerf je me concentre !

Vous reçûtes, hymen, l'honneur de jolis noeuds
On vit en cet endroit de grands corps caverneux
Voici les sombres bords où croit la caroncule.

Quoi nymphes, vous pleurez ? Azur pur de souci,
Vrai ciel ! Et d'un effort franchi le vestibule,
Pan, le grand Pan, s'élance en un éclaboussis.

PREMIER SENS : INTERPRÉTATION DE L’HOMME DU MONDE

Ce sonnet ressortit au genre de l'églogue mythologique. Son sens est parfaitement clair : les nymphes, ces divinités des fontaines et du bois, gardent les secrets du sanctuaire qui leur est consacré, ou nymphée, et qui était habituellement un antre, c'est-à-dire une grotte, précédée le plus souvent d'un vestibule orné de colonnes. Le sein de ces jeunes filles belles et bien faites est comparé à un beau fruit rougissant, quand la vue de quelque Joli berger les point d'un émoi virginal sous l'influence de Cypris (1), qui soumet le monde entier à ses lois.

La grotte consacrée aux nymphes se trouve dans un vallon sombre plein de sources et de fontaines, au sein d'un bois épais où l'on respire l'odeur troublante des feuilles mortes. C'est Eros qui s'adresse à l'une des nymphes, du mm de Minette : le fils d'Aphrodite veut bander le, nerf qui tend son arc et se concentrer pour bien viser, de façon à atteindre de sa flèche la nymphe dont la splendeur est la plus grande.

Dans le premier tercet, le poète parle de ces mariages légers contractée par les nymphes avec des divinités champêtres : faunes, satyres ou chèvre-pieds. Les noeuds de l'hymen sont jolis, car ils sont faits seulement de jeux et de plaisirs, sans avoir la lourdeur des chaînes qui reliant las pauvres humains. Le poète a pu penser aussi à ces noeuds de tissu blanc léger qui ornaient lors de ces païennes hyménées les cheveux des nymphes et les cornes des oegipans, comme ils décorent de nos jours les lanternes des voitures et le fouet des cochers d'un grand mariage moderne. Les grande corps caverneux évoquent -avec quelle discrétion ! - les longues nudités blanches aperçues dans l'obscurité de la caverne, au bord de laquelle croit la caroncule, plante des terrains humides.

Dans leurs jeux avec las satyres, parfois Interrompus par le dieu Pan, dont l'aspect effrayant déclenchait chez elles une terreur panique, les nymphes passaient en un instant du rire aux larmes.

Mais qu'elles n'aient plus de crainte ! Le dieu redoutable, le grand Pan, vient de sortir de la nymphée, et le voici qui plonge dans la fontaine proche reflétant l'azur du ciel, dans un grand éclaboussement d'eau.

Le poète a visiblement pastiché Ronsard; emploi de mots ou de formes archaïques : emprès, oncques, enclost, utilisation de la mythologie grecque, imitation des Anciens allant de pair avec un sentiment direct et sincère de la nature.

On ne s'étonnera pas, dans ces conditions, que le mot nymphes figure trois fois dans le poème, en dépit de Boileau, lequel, dès 1674, interdisait que dans le sonnet

- ... un mot déjà mis osât s'y remontrer. "

Dans un pastiche de Ronsard cette licence est toute naturelle, rares sont en effet les sonnets du gentilhomme vendômois qui ne tiennent pas de répétitions de mots : elles n'étalent pas condamnées à l'époque.

Signalons encore la mélodieuse et très douce liaison : " Vous reçûtes-z-hymen ... ", manifestement inspirée du vers de Phèdre

Vous mourûtes aux bords où vous fûtes laissée.

BARON LAPITRE DE MONTRIBIER

(1) Cyprla ou Kypris était l'un des avatars d'Aphrodite déesse de la beauté, de. la fécondité, et de l'amour (Note du Baron L. de M.).

DEUXIEME SENS : INTERPRÉTATION DU SAVANT JOURNALISTE : INTERPRÉTATION DU SAVANT JOURNALISTE

Un naturaliste, accompagné de son assistante qu'il surnomme familièrement Minette parce qu'elle est d'une grâce féline (pour être homme de science on n'en est pas moins homme ! assiste à la naissance d'un papillon, le Grand Paon de nuit (2), après sa réclusion quasi mortuaire dans une nymphe cavernicole. Las nymphes ou chrysalides, sont, on le sait, ces étranges momies - parfois enveloppées, en guise de bandelettes, d'un cocon de soie - qui chez les Insectes représentent le stade Intermédiaire entre la larve et l'insecte parfait.

Mais prenons-y garde : il s'agit d'un sonnet symboliste ; ces nymphes immobiles et endormies ne sont que l'image de nos êtres obstinément larvaires. Or nous devrions avoir en nous le désir d'atteindre l'état adulte et de nous élancer, ailes déployées, comme le papillon vers l'azur, vers les régions éthérées auxquelles notre âme aspire

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Les nymphes hiératiques semblent garder l'entrée de la caverne. mais la vraie vie n'est pas là . Pleine tel un beau fruit, elle se gonfle comme le thorax d'une chrysalide aux premières tiédeurs du printemps, ou comme le sein d'une vierge pudique qui ressent les premières atteintes de l'Amour.

L'humide val où jamais le soleil n'entre, c'est notre existence, cette vallée de larmes. Le bois touffu, c'est le cocon qui entoure la chrysalide à l'odeur musquée, mais c'est surtout le monde des. apparences qui, selon Platon, nous cache le monde des réalités. Le naturaliste demande à son assistante d'écarter le cocon et de lui montrer les nymphes quelle vient de découvrir, afin de mieux réfléchir sur leur secrète essence, en bandant toute son énergie nerveuse sur cette méditation.

Le premier tercet contient une nouvelle allusion à Platon (allégorie de la Caverne, Rép. VII 1 à 3) : les grands corps caverneux sont les ombres projetées sur les murs de la caverne démesurément agrandies et qui symbolisent les images fallacieuses du monde des apparences.

L'hymen aux jolis nœuds " est l'union harmonieuse de l'âme et du corps, mais pour les larves que nous sommes, il ne reste plus rien, une fois éteint le feu de ces hyménées Iumineuses, si nous restons sur les humides bords d'une existence insuffisamment rIche de spiritualité.

Comme le prisonnier de la caverne libéré de ses chaînes ou comme le papillon nocturne délivré des liens et de l'enveloppe chitineuse de la chrysalide, l'âme doit, selon Platon, s'affranchir du souci de son corps et de la servitude où il la maintient pour arriver à la contemplation de la vérité.

Comme eux, elle sera d'abord éblouie et comme éclaboussée de lumière - mais ayant échappé à cette vie larvaire et baignée de larmes, elle s'envolera d'un coup d'ailes vers l'azur lumineux pur de nuages, c'est-à-dire vers le monde des Idées.

Notons que si Floupette écrit le grand Pan pour le Grand Paon. Il ne s'agit pas d'une faute d'orthographe, mais d'une confusion métaphorique préméditée entre le grand papillon nocturne et le dieu puissant qui symbolise l'élan vital et sollicite de nous l'acceptation enthousiaste de notre humaine destinée.

Par contre c'est une erreur inadmissible d'avoir fait une plante de la par confusion involontaire avec la cardamine et la renoncule : la caroncule est une excroissance charnue de certains animaux (comme les chenilles) ou le renflement qui entoure le hile de certaines graines (ricin, haricot).

Pour un poème symboliste, ce sonnet est, on le voit, fort clair. Il ne contient en effet à part éclaboussis, aucun néologisme, et aucun de ces mots rares et abscons, tels que brasiller, clangorer, latence, fongosité, labile, renacescent, qui rendent si souvent difficile la lecture de ces écrits. La syntaxe est, elle aussi, remarquablement simple, à l'exception de ce tour assez mallarméen : d'un effort franchi le vestibule, qui n'est après tout qu'un ablatif absolu.

ZÉPHYRIN BRIOCHÉ
(de l'Académie de Lons-le-Saunier)

 

Notes :

(1) Le professeur Brioché était-il bien de ces journalistes auxquels pensait, Adoré Floupette ? Nous n'en sommes nullement persuadé. Mais, comme il l'a dit. Marius Tapora n'avait pas la choix.

(2) Saturnia pyri, c'est le plus grand lépidoptère d'Europe : Il atteint 14 et même 15 centimètres d'envergure . (Note du Professeur Brioché)(*)

3) Que nos jeunes entomologistes ne se hâtent pas de crier à une erreur de leur savant "ancien" : en 1891 Saturnia pyri était bien le plus grand - Attacus cynthius ou Philosomia cynthia, nommé à tort bombyx de l'allante, si commun maintenant dans la région parisienne, est originaire de l'Asie orientale et n'a été introduit chez nous que plus récemment, en même temps que l'allante glanduleux, improprement appelé vernis du Japon, grand et bel arbre qui sert, malgré l'odeur forte et peu agréable de ses fleurs, à la plantation de nos avenues.

Note du rédacteur : comme souvent, chez Adoré Floupette, le troisième sens semble ésotérique par son herméticité tourmentée. Certains chercheurs comme le docteur Letuber se sont orientés, peut-être à tort, vers des explications naturalistes, voire anatomo-pathologistes ou sensualistes, compte tenu d'un vocabulaire d'une technicité hardie et spécifique. La question mérite réflexion.