Cahier 28 : De la distance
La pensée du jour : L’étude des mathématiques, en comprimant la sensibilité et l’imagination, rend quelque fois l’explosion des passions terrible.
(Mgr DUPANLOUP Education intellectuelle p 417 relevé par Flaubert dans le Sottisier … )
EDITORIAL DE MONSIEUR L'INGÉNIEUR-EN-CHEF DE L’ALIS
Poursuivant les publications de recherches de ses techniciens et correspondants, les CALIS publient ici quelques spéculations sur le notion de « distance » dont chacun a une idée naïve – ce qui ne saurait être péjoratif. Ce cahier n’est destiné à des « mathématiciens » pour qui ces notions sont triviales, mais visent à éclairer à l’aide de la Chandelle Verte les peuples.
Mesdames et Messieurs les mathématiciens et jargonneurs ont formalisé cette notion de distance et en ont donné des vues coruscantes. Il n’est aucunement question ici de rivaliser avec eux. Il ne s’agit que d’explorer ces distances et ouvrir des portes ouvertes et donner des aperçus d’une possible utilisation de cet outil par les sciences, les OuXpo et in fine la Science. On pourra constater sur ce cas particulier de la distance toutes les potentialités potentielles qu’offre la mathématique et voir pourquoi il n’est pas nécessaire d’imaginer un OuMaPo – ou ouvroir de mathématique potentielle – la mathématique étant par essence potentielle et ce à tous les degrés possibles.
Ces travaux ici publiés poursuivent en cela les études de Sa Sommité le Régent Lacaze sur les distances parues dans le numéro un des Organographes du Cymbalum Pataphysicum et étudiées dans le Calis n° 2 de Floréal, 194 Ere de la République.
L’OuPeinPo de son côté a repris les distances parisiennes de Sa Sommité et a publié un plan de Paris tenant compte de cette métrique et redressé la Seine dont les circonvolutions pouvaient chagriner un esprit cartésien.
Le premier articulet sera d’une tonalité à destination des potache : ce pourrait bien être un extrait d’un quelconque manuel scolaire définissant les distances.
Ensuite, l’explorateur du Nouveau Monde se promènera dans New York avec son podomètre vers le West Side avant de prendre le train de la SNCF.
Quelques applications bien connues sur les codes et autres pour se familiariser avec les distances seront suivies de propositions d’anoulipisme i.e. d’outils pouvant possiblement donner lieu à des contraintes éventuellement productives.
On terminera par le rappel des publications ( disponibles) des Calis avant la dernière de couverture.
Monsieur l’Ingénieur-en-Chef de l’Amicale du Laboratoire d’Inventions Scientifique(s)
DE LA DISTANCE
Définition Soit E un ensemble, on appelle distance d définie sur E toute application d dans ExE dans telle que : |
Exemples
Le corps des réels
L’exemple le plus classique est l’ensemble des réels pour lequel on définit la distance par :
d(x,y) = | x- y | (c’est l’écart entre les deux nombres) On vérifie immédiatement que c’est bien une « distance » au sens de la définition ci-dessus
C’est cette distance qui, classiquement, est sous jacente pour développer les notions de limites, de convergence et d’une façon générale ce qu’il convient d’appeler l’analyse.
On trouve d’autres « distances » possibles en particulier sur les entiers avec les notions de distance p-adiques.
Le plan « euclidien »
Le plan dit « euclidien » est un exemple canonique d’un espace métrique. C’est la « distance à vol d’oiseau » et plus exactement si on est dans un repère orthonormal, c’est la distance euclidienne donnée par la formule :
d(A,B) = Ö ((xb-xa)²+(yb-ya)²) (dans un espace de dimension 2)
Dans cet espace, les notions d’orthogonalité et de distances sont équivalentes et l’on passe de l’une à l’autre par la relation de Pythagore :
(AB) ^ (AC) Û d(AB)² + d(AC)² = d(BC)²
Muni de cette distance le plan (si l’on reste en dimension 2 ) admet la géométrie métrique classique ; on a en particulier les notions de :
- géodésique ( ou plus court chemin) M est un point d’une géodésique [A,B] si et seulement si d(AM) + d(MB) = d(AB) (Dans le segment de droite joignant les deux points ) - cercle : ensemble des points situés à distance fixe (le rayon ) d’un point fixe (le centre) . (Dans le cas euclidien c’est bien le cercle que l’on connaît) - disque : intérieur d’un cercle - milieu : le milieu de A et B est l’ensemble des points C Î [AB] / d(AC) = d(CB) ) (Dans le cas euclidien c’est un point unique) - médiatrice : la médiatrice de A,B est l’ensemble des points équidistants de A et B) (Dans le cas euclidien c’est la droite perpendiculaire à AB passant par le milieu de AB)
Ces différents objets de la géométrie métrique euclidienne sont bien représentés par les objets physiques correspondants ( en clair ( ?) un cercle est bien un cercle)
Il n’y a aucune difficulté théorique et/ou pratique pour passer à des espaces de dimension entière, finie – ou dénombrable - , supérieure à 2
Distance de Hamming
Prenons l’ensemble O des octets (il y en a 256 différents) On peut définir une distance entre deux octets par le nombre de bits différents :
Par exemple si A = 0011 0011 et B = 1010 0011 alors d(AB) = 2 (les bits 1 et 4 sont différents)
C’est trivialement une distance dite de « Hamming »
Parmi les applications élémentaires possibles :
Si l’on considère que seuls les octets « pairs » ( i.e. avec un nombre pair de 1) ont un sens alors la distance minimale entre deux mots est 2 ; on peut dans ce cas détecter une erreur si on trouve des mots à la distance 1 d’un mot accepté … (Ce sont les codages avec un « bit de parité » ) . On peut aussi imaginer des codes correcteurs d’erreurs , l’idée étant d’avoir des mots dont la distance est au moins 3 , tout mot avec une seule erreur – donc à une distance 1 d’un mot acceptable – peut être corrigé et remplacé par le mot le plus proche.
On trouve dans la littérature moult développements de ces notions sur les codages dans les manuels d’informatique et les livres scolaires des lycées.
Distances dans un graphe
Soit G un graphe symétrique – ou non orienté - ; on appelle distance de deux sommets A et B le nombre minimal d’arêtes pour rejoindre A et B. S’ils ne sont pas connectés on peut poser que d est infinie. Si le graphe est valué (ou si chaque arête a une longueur) , on peut poser alors que la distance entre deux sommets A et B est la plus courte des longueurs des chemins reliant A à B. On notera qu’il n’y a pas a priori de « plus court chemin » unique.L’écolâtre répétiteur de semaine
VOYAGE À NEW YORK CHEZ LES SHARKS & LES JETS
Chacun connaît le plan idéal de New York, dite Big Apple, qui n’est pas sans rappeler ceux de La Roche s/Yon et Rochefort sur mer. La voirie est un réseau orthogonal d’avenues et de rues, numérotées E/O et N/S .
Si donc on est à l’intersection de la 7° avenue et de la 12° rue et que l’on veut se rendre à l’angle de le 9° avenue et de la 5° rue, la longueur du trajet à accomplir est de 7 blocs ( on suppose ici qu’il n’y a ni hélicoptère ni passe murailles type Spider Man).
Une position à NY se repère donc par 2 nombres (x,y) x représentant le n° de l’avenue et y celui de la rue. Il est alors assez évident que la distance de deux positions A et B est donnée par la formule : d(A,B) = |xb-xa| + |yb-ya|
NY est donc un espace métrique.
A quoi ressemble un cercle ? Il suffit d’essayer naïvement. Soit un point O dit centre et un rayon, par exemple 5 blocs. Il suffit de reporter sur le plan les positions que l’on peut atteindre en 5 blocs à partir de O et on trouve comme « cercle » un carré dont les diagonales sont les axes, passant par O, et mesurant 10 blocs. Le « disque » de rayon 5 est l’intérieur du carré.
Supposons que les Sharks ( Quartier Général S en (2,3)) et les Jets ( Q.G. J en (8,7)) se donnent rendez-vous en terrain neutre à mi-chemin de leurs QG respectifs. Où se rencontrent-ils ? Là il y a une distance totale de 10 blocs entre S et J donc le milieu est à 5 blocs de S et J sur le plus court chemin… On constate qu’il n’y a pas un plus court chemin mais que tout chemin qui se compose de 6 avenues vers l’Est et 4 rues vers le Nord est un plus court chemin ou géodésique . Les milieux à coordonnées entières sont donc les points repérés par : (7,3) , (6,4) , (5,5) , (4,6) et (3,7 : il y en 5 ; on remarque qu’ils sont alignés sur une droite à 45°. Il est fort possible que le rendez-vous soit raté.
Un centre social – c’est politiquement correct – veut se mettre à même distance de S et J. Où doit il s’implanter ? On retrouve la médiatrice. Dans ce exemple c’est la ligne formée par les milieux à laquelle s’ajoutent les verticales 3° avenue au Nord de la 8° rue et la 7° avenue au Sud de la 3° rue.
Cet espace New-Yorkais n’est pas isotrope, certaines directions (celles des voies) sont privilégiées . Ce peut être un jeu que d’essayer les propriétés de la géométrie classique (euclidienne) dans ce plan – comme la recherche d’un cercle circonscrit à un triangle - et d’y faire des figures : on constatera la puissance de créativité de la mathématique et sa fécondité .
L’ethnologue-explorateur de service au Nouveau Monde
Quelques notes (inutiles) pour faire scientifique :
1- D’aucuns parleraient pour le n° de l’avenue de l’abscisse et pour l’avenue de l’ordonnée.
2- Le nombre de chemins pour rejoindre S et J est dans cet exemple C(10,4) soit 210 ; il y a 5 milieux entiers.
La généralisation est aisée : le nombre de chemins est C(|xb-xa|+ |yb-ya| , |xb-xa|) où C représente le coefficient binomial : le nombre de milieux est inf(|xb-xa| , |yb-ya|)+1
3- Cette distance est un classique des manuels d’introduction à l’analyse. Elle se généralise avec toutes ses propriétés dans des espaces de dimension dénombrable.
4- Cette distance parfois est notée d1 : c’est un cas particulier des distances dn définies dans un espace de dimension 2 par dn(A,B) = ( |xb-xa|n + |yb-ya|n )1/n. Avec cette notation, la distance « euclidienne » est simplement d2.
Lorsque n ® 8 alors d8 est sup(|xb-xa| , |yb-ya|), le « cercle » dans cette distance est représenté par un carré dont les côtés sont parallèles aux axes.
On démontre que ces distances dn sont équivalentes – ou comparables - ; toute suite qui converge pour l’une d’entre elles converge pour toutes et les topologies induites sont identiques. Ces notions passent sans difficulté dans un espace de dimension n (où n est fini)
Le pédant ès cuistrerie de passage.
Une remarque :
« On » peut habiller différemment cette « distance » New-yorkaise : Il suffit de considérer les parcours d’une mouche se promenant sur un grillage de garde manger après qu’on lui ait, avec soin arraché, les ailes et laissé les pattes …
Un entomologiste (non membre de la SPA)
A AH ! LA S.N.C.F.
Chacun connaît le plan du réseau de la SNCF : toutes les lignes partent d’un même point noté P (comme pole – ou Paris-), les lignes « transversales » n’étant là que pour consoler les provinciaux qui ne sont pas capables de goûter les beautés du centralisme (démocratique ?) .
C’est un graphe en « étoile »
Alors quelles sont les distances pour ces messieurs de la SNCF ?
Premier cas : si A et B sont sur une même ligne (c.a.d. alignés avec P) alors la distance de A et B est la distance « à vol d’oiseau », on suppose les voies rectilignes, Second cas : si A et B ne sont pas sur la même ligne, la distance de A et B est AP + PB mesurées elles aussi à vol d’oiseau.
A quoi ressemble un cercle SNCF ?
Il faut étudier plusieurs «éventualités :
- un cercle de centre P et de rayon R ressemble furieusement à un cercle de centre P et de rayon R.
- un cercle de centre A ? P et de rayon R est: - si R = AP l’ensemble des 2 points situés à une distance R du point A sur la ligne AP - si R > AP alors on a un point sur AP éloigné d’une distance R de A vers la province et un cercle de centre P et de rayon R-AP privé du point sur la ligne AP (le disque ressemble lui à une poêle à frire)
Que dire du milieu ?
Le milieu de 2 points existe toujours et est unique comme on peut le vérifier trivialement … (Si Roméo & Juliette se donnaient rendez vous à mi chemin de leurs résidences, ils ne pourraient pas se rater eux) Par contre, on peut vérifier que A B et A C peuvent avoir le même milieu et que cependant A ? C : il suffit que B et C soient sur le même cercle de centre P et non alignés avec AP (situation impossible en géométrie euclidienne pour laquelle l’opération « milieu » est « régulière »)
Et la médiatrice ?
Là encore plusieurs cas que nous laissons aux logisticiens de garde. On trouve soit un point (le milieu) soit tout le plan privé des lignes PA et PB (lorsque A et B sont équidistants de P).
L’Ingénieur en charge des voies ferrées et de la tarification de la SNCF
DE LA DISTANCE, DE L’ÉCRITURE, DE LA CONTRAINTE
Cet essai de transposition de la notion de distance a été suggéré au Laboratoire d’Inventions Scientifique(s) par un forum qui s’est tenu sur la liste Oulipo et en particulier en réaction à un mail d’ EA°°° envoyé le 4/12/98 v. à 16 :17 .
Après avoir visité quelques contrées exotiques où les distances quoique parfaitement « normales » laissent des surprises, il est temps d’arriver au cœur de cette livraison et de tâter le terrain quand à l’utilisation éventuelle de la notion de distance pour étudier des contraintes oulipiennes – ou autres .
Un jeu
Il s’agit, un peu comme au Master Mind, de trouver un mot connaissant sa « distance » à d’autres mots. On appelle ici « distance » de 2 mots de même longueur le nombre de lettres différentes qu’ils ont aux mêmes emplacements.
Exemple
Mots | Distance |
Arbre | 5 |
Pause | 5 |
Sauce | 4 |
Chyle | 3 |
Salto | 3 |
Etape | 4 |
?????? |
Le jeu consiste à trouver le mot c’est à dire celui dont la distance est nulle, STYLO est ici une réponse ; il est possible que ce ne soit pas une solution unique ... (En fait, plutôt que la distance l’énoncé donne en général le nombre de lettres exactes ; assez souvent l’énoncé donne des mots tels qu’il y ait exactement une lettre correcte, ce qui revient à chercher le centre d’un « cercle » de rayon 4 dont on connaît un certain nombre de points
Contrainte possible :
Donner un texte tel que les mots de 5 lettres de chaque phrase aient tous la même distance (par exemple 4) d’un mot donné , la suite des centres formant bien sûr à son tour le message ultime
Les chaînes de Carroll
On appelle chaîne de Carroll tout suite de mots différant d’une lettre exactement ( soit de distance 1). Par exemple : TARTE – CARTE – CARRE – BARRE – BAFRE – BAFFE – BIFFE – est une telle chaîne. On peut alors chercher le « plus court chemin » d’un mot à un autre : c’est une géodésique : on appelle « distance » de deux mots la longueur d’une chaîne minimale. Il n’y a pas a priori d’unicité de la géodésique ni du milieu … est-ce que deux mots peuvent ne pas être connectés ? auquel cas il faudrait poser que leur distance est infinie (ce qui mathématiquement n’est plus exactement une distance mais un « écart » )
Contrainte possible :
Ecrire un texte dont les premiers mots de chaque phrase – ou paragraphe - forment une chaîne de Carroll , la lettre modifiée n’apparaissant pas dans la phrase en question
Des synonymes
Soit donc un dictionnaire des synonymes. On peut prendre, par facilité, l’outil synonyme de Words 97 de Monsieur Bill Gates.
Plusieurs questions se posent d’emblée :
- Est-il connecté ? en clair peut-on toujours relier deux mots du dictionnaire par une chaîne de synonymes ?
- Si non (ce qui est peu probable) comment le vocabulaire se réparti entre des ensembles sans points communs ? Y aurait-il à l’intérieur du vocabulaire plusieurs langages indépendants ? En fait s’il y a apparemment des catégories étanches : noms, verbes, adjectifs et alii, on peut toujours trouver des passerelles comme « dîner » qui relie les verbes aux noms
- On peut appeler « distance » entre deux mots la longueur minimale de la chaîne qui rejoint les deux mots. (Si deux mots ne sont pas connectés, alors on peut dire que leur distance est infinie) On a bien une distance au sens mathématique du terme si on ajoute la « symétrie » à savoir que si par exemple le mot « contrainte » est lié au mot « captivité » alors on considère réciproquement que le mot « captivité » est lié à « contrainte » et donc que leur distance mutuelle est égale à 1
- Le « diamètre » du vocabulaire est la plus grande distance entre deux mots. Quel est le diamètre de notre vocabulaire ?
Il est clair que la distance et toutes les notions numériques ainsi introduites dépendent du dictionnaire choisi : plus il est riche plus les distances sont petites.
Muni ainsi de la notion de distance, on peut imaginer bien des contraintes :
Par exemple :
|
Il est possible que des études puissent être faites dans ces directions avec l’outil informatique qui , quand on sait l’utiliser, peut permettre des explorations exhaustives.
Chacun peut imaginer d’éventuelles prolongements à ce qui n’est qu’une piste encore peu formalisée. Cette idée n’est hélas pas très originale : on peut remarquer que le « procédé » de Raymond Roussel relève de cette stratégie : trouver un chemin des « bandes du vieux pillard » aux « bandes du vieux billard » par des transitions dans la continuité analogues à la recherche de synonymes et que le Transcendant Satrape Raymond Queneau, dans le n° 3 de la bibliothèque Oulipienne à lui aussi transposé des notions mathématiques (les fondements de la géométrie de David Hilbert) vers la littérature.
On saura enfin si AMOUR RIME AVEC TOUJOURS, si IL Y A LOIN DE L’AMOUR A LA HAINE (va je te hais point…) & QUELLE EST LA DISTANCE DE LA COUPE AUX LEVRES (texte qui pourrait partiellement aéré).
Monsieur l’Ingénieur en charge des lectures oulipiennes
end faq9
Ce Cahier de l'Amicale Il a été réalisé dans le Laboratoire d’Inventions Scientifique(s) |